Iran / Covid19 : Confinement et autres nouvelles…

Iran à l’heure du Covid-19

Rappel des faits et l’état des lieux en République islamique au 30 mars 2020.

La stupeur mondiale – ou devrais-je dire universelle – du Corona virus amortie, j’ai décidé de partager avec vous des instantanés du quotidien iranien.

Le 31 décembre 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé alertait la planète de l’apparition d’un nouveau virus de pneumonie détecté à Wuhan (Province Hubei de Chine).

Le 7 janvier 2020, les autorités chinoises confirmaient l’appartenance du nouveau virus à la famille des coronavirus, baptisé depuis le COVID-19 ou SARS-CoV-2.

Le 15 janvier mon médecin traitant à Téhéran, Madame S.E., m’assurait que les milieux médicaux iraniens (secteur public et privé) avaient informé les autorités iraniennes de nombreux cas de contaminations à travers le pays. « Il a été décidé en haut lieu de ne rien laisser filtrer avant le 11 février, date anniversaire de la Révolution », précisait le médecin. À noter également que Mahan – compagnie aérienne privée appartenant aux Gardiens de la révolution – continua d’assurer ses liaisons avec la Chine jusqu’à la fin février.

La pandémie Covid19 a été officiellement admise par les autorités iraniennes le 19 février 2020. Qom a été reconnu comme l’épicentre du virus. Les cas précédemment suspectés et signalés dans d’autres villes du pays par les médecins ont été rejetés par le ministère de la Santé iranienne sans qu’aucune mesure sanitaire ni de directives concrètes soient annoncées.

Le 21 février le premier tour des élections législatives a été maintenu. Les plus hautes autorités du pays, dont le Guide suprême et le Président, ont minimisé le danger de la pandémie, exhortant la population d’aller voter massivement.

Écoles, lycées, universités et tous les centres culturels ont été fermés à partir du 29 février, mais non pas les lieux de culte et les sanctuaires de pèlerinage. Les concerts ont été annulés mais non pas les prières de vendredi.

Le jeudi 12 mars, le Washington Post publiait des agrandissements de photos satellites d’un cimetière de Qom dont l’intense activité témoignait de la pandémie.

Suite aux décès de plus de quinze parlementaires et plusieurs hauts dignitaires du régime le gouvernement annonce, enfin, l’annulation des prières de vendredi, la fermeture des sanctuaires religieux (Qom et Machhad y compris) à partir du 15 mars.

Le 19 mars Kianush Jahanpur, porte-parole du ministère de la Santé iranien annonçait sur son compte Twitter que « sur la base des dernières données disponibles, 50 Iraniens sont infectés par le COVID-19 chaque heure […], toutes les dix minutes, un Iranien meurt de la maladie ».

Malgré ce constat et les cris d’alarme du corps médical et de quelques députés, le gouvernement refusa obstinément la mise en quarantaine de la population. « Pas de quarantaine. Ni pour Nowrouz (nouvel an iranien), ni avant, ni après […] Toutes les entreprises sont libres et les services gouvernementaux seront maintenus. » Dixit Hassan Rohani à la veille du nouvel an Iranien (20 mars).

Résultat : Huit millions d’Iraniens se sont déplacés à travers le pays entre le 15 et le 20 mars.

Moralité : Au risque de voir le pays se transformer en hécatombe, le gouvernement ordonnait le 26 mars :

    • La fermeture des commerces et de tous les lieux publics à l’exception des magasins d’alimentation et des pharmacies.
    • L’interdiction de voyager et de quitter le lieu de résidence. Imposition du contrôle à l’entrée des villes concernant les millions de voyageurs en route pour le retour.

Le confinement encouragé n’est imposé intra-muros dans aucune ville.

Au 30 mars, les statistiques gouvernementales sont respectivement de 41, 495 cas testés positifs, dont 18 446 cas les sept derniers jours, 2 517 décès et 12 391 guéris.

Mais selon Rick Brennan directeur des situations d’urgence à l’OMS, le nombre de 80 000 cas positifs aurait été dépassé en Iran. Le chiffre des décès pourrait s’estimer autour de sept mille personnes.

Des chercheurs de l’université Sharif à Téhéran, estiment quant à eux que l’épidémie pourrait provoquer la mort de 3,5 millions de personnes si l’Iran ne parvenait pas à la maîtriser d’ici à la fin du mois de mai.

Toutes les régions sont frappées par la pandémie. La situation des provinces de Golestan, de Mazandaran, du Khuzistan et du Kurdistan iranien est catastrophique.

Notons une fois de plus la responsabilité des États-Unis qui maintiennent les sanctions économiques contre l’Iran dans cette situation dramatique. L’Iran est privé de plus de 40 % de ses recettes. L’impact se fait sentir à tous les niveaux, notamment en matière de santé et de lutte contre le virus. Comment ne pas condamner une injustice qui, de surcroît, ne frappe que la population iranienne ? Les drames dont nous sommes témoins en Iran sont intolérables. Selon Ruth Marshall, Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme, les systèmes de dérogation des sanctions concernant les médicaments et l’équipement médical, sont inefficaces, et trop lents : « L’Iran, pays en crise aiguë au niveau du Covid-19, manque cruellement de tout équipement. Les médecins et les soignants iraniens protègent non seulement les Iraniens mais aussi les pays limitrophes, et nous tous aussi. » L’ONU demande, en vain, la levée des sanctions jusqu’à la fin de la pandémie. Mes compatriotes meurent tous les jours du Covid19 mais aussi de cancer et d’autres maladies graves, faute de médicaments et d’équipement.

Le travail de l’ensemble du corps médical dans les hôpitaux et les cliniques privées est admirable. Ils manquent de tout, la mort les guettent, ils constatent les décès et dénombrent les victimes des collègues « martyres de la santé » et continuent à danser et à chanter dans les couloirs et les chambres des malades pour leur donner et se donner courage. La population les soutient et les aides affluent dans les hôpitaux.

PS Une des dernières déclarations de monsieur Namaki, ministre de la Santé : « Les européens m’appellent tous les jours et me demandent comment nous avons fait pour contrer le virus avec autant d’efficacité ! »

 

Qom ou la foi assassine d’une minorité.

J’ai découvert Qom, l’Oppressante, en 2019, peu avant « l’avènement » du Corona Virus !

Je n’ai jamais aimé cette sainte cité devenue « révolutionnaire » grâce à Rouhallah Khomeyni qui lança ses premières galéjades contre le dernier Chah d’Iran au début des années soixante.

Je me souviens encore de mon passage éclair à Qom et de mon refus obstiné d’y mettre pied à terre. J’avais neuf ans. Ma cousine dix. Mon oncle nous emmenait découvrir Ispahan, la Sublime bleue. L’escale à Qom, pause « pipi » forcée, tourna court.

La Cadillac de l’oncle était blanche, la robe de ma cousine, rouge, la mienne bleue. Le reste, visible à travers les vitres, tout noir. Chemises noires, pantalons noirs, tchadors noirs, turbans noirs et quelques fois blancs. Des petits pois rebelles !

« Je ne descends pas ! À Qom, on marie les petites filles de force » hurlais-je avant de m’enfermer dans la voiture avec ma cousine, quitte à faire sur nous !

Pas de pause pipi mais obligation d’écouter les explications de l’oncle. « Le mariage des mineures est interdit depuis des années » nous assura-t-il avant de reprendre la route.

Ce qui n’était pas tout à fait exact. Notre mémorable voyage datant de la fin des années cinquante, l’âge légal du mariage pour les filles fixé par le décret de loi de 1931 était alors de quinze ans (au lieu de 13 auparavant). Ce ne fut qu’en 1973 que la loi de la protection familiale fixa l’âge du mariage, pour les deux sexes, à dix-huit ans. Enfin, l’union temporaire (Sigheh) restant en vigueur, les mineures pouvaient être mariées « religieusement » – à savoir en présence d’un mollah – avec pour seule formalité le consentement paternel.

Avec la révolution, l’âge du mariage légal pour les filles fut réduit à neuf ans lunaires (soit huit ans et des poussières) avant qu’une récente loi le fixe à nouveau à treize ans !

En automne 2019, près de soixante ans après mon passage éclair à Qom je décide que la ville honnie sera la première destination de mon itinéraire de voyage des villes et régions inexplorées du pays natal.

Le taxi fonce vers Qom et je pense aux hoquets de l’histoire et ses drames à répétition. Ces fillettes que l’on marie toujours légalement et que l’on sacrifie en nombres…

Me voilà dans le centre-ville, près du mausolée de Sainte Fatémeh, la sœur de l’Imam Reza, patron de Machhad, première Ville sainte du pays.

Tchador obligatoire, queue, contrôle, accueil des pom-pom girls plumeau bleu dépassant le voile noir. Polies, directives, elles canalisent la ruée vers le mausolée. Collées les unes aux autres, en nage, la respiration courte, les adultes supplient, les fillettes s’étouffent, je me débats pour fuir cette étuve à microbes !

Dans la salle de prière des « sœurs » la masse en noir psalmodie en attenant le prêcheur. Des bambins se roulent sur les tapis, chahutent, pleurent. Je m’approche, entame la conversation. Ces dames savent-elles que leur ville accuse les taux les plus élevés de prostitution, de suicides, du trafic comme de l’usage de stupéfiants ? Croient-elles encore aux miracles de Sainte Fatémeh ? Oui, elles le savent et elles ont d’autant plus foi en la Sainte qui entend la détresse des malheureuses réduites à la prostitution par nécessité. Pour les plus jeunes, cependant, le mausolée n’est qu’échappatoire et exutoire. « On fuit nos geôliers, père, frère, mari ou belle-mère ! » murmure une adolescente avant de s’éclipser.

La péroraison, oh combien prémonitoire, s’échappe des entrailles d’une octogénaire et habituée des lieux. « Tout ce qui se dit sur cette ville est vrai. C’est l’avènement du 12e Imam qui doit apparaître quand se répand la pourriture à grande échelle ! Et ça arrive… Lui seul pourra nous sauver ! »

Quatre mois plus tard Qom devenait le centre de l’épidémie du Corona Virus en Iran. Parmi les premières victimes, le frère du Dr Mawlai, citoyen de Qom.

Les scènes, parfois, hallucinantes de notre petit film se passent de commentaires. Annonceraient-elles l’avènement du messie chi’ite contre le Covid19 ? Une minorité d’Iraniens le croient fermement à Qom mais aussi dans d’autres villes du pays. Ils ne sont pas les seuls. De Jérusalem aux États-Unis, juifs orthodoxes et évangélistes le croient tout autant.