Apulée #5 | Parviz Aron Yashayaï, la conscience juive de l’Iran

Parviz Aron Yashayaï, la conscience juive de l’Iran

Cet article a été publié dans le numéro 5 de la revue Apulée, consacré aux Droits Humains (2020).

La crinière blanche et l’œil vif, Parviz Aron Yashaï est un jeune homme de quatre-vingt-quatre ans versé dans le Talmud et amoureux de Hâfez.
Nous sommes à Oudlajan[1], tout près du grand bazar de Téhéran. Parviz Agha[2] arpente les ruelles de son enfance et se souvient de son inscription à l’école primaire où il apprend qu’il s’appelle Aron. Le prénom de l’état civil, choisi par son père étant symbolique, on continuera d’appeler Aron par son prénom persan Parviz puis Parviz Agha – Monsieur Parviz – tant le gamin en imposait.
L’école n’est plus. Mais au cœur du quartier défraîchi, à la grande synagogue toujours debout, on officie tous les samedis,

Parviz à Oudlajan

comme jadis. Nous y accédons par des venelles poussiéreuses. Derrière la porte métallique ornée d’étoiles de David, la grande cour donne accès à la salle de prière et la bibliothèque renfermant les annales de la communauté. Les lieux ont connu des heures sombres mais le rabbin n’en parle pas. Il nous sert du thé et nous partons à la découverte de la première banque juive de la capitale, reconvertie en restaurant.

Entrée de la synagogue d’Oudlajan

« Le prêt bancaire accordé au jeune lycéen que j’étais m’a permis de monter Persépolis, une des premières boîtes de communication cinématographique de Téhéran » se rappelle Parviz Agha, le regard perdu au-delà le bassin de la bâtisse ancienne classée au Patrimoine national.
Au début des années 1950, le jeune homme d’affaires est aussi un fervent militant du Front National de Mohammad Mossadegh[3]. Suite au coup d’État de la CIA et la chute du Premier ministre en 1953, Parviz, fiché par la Savak[4] comme élément « subversif », porte le deuil de ses camarades condamnés à mort. Cette déchirure transforme le militant fougueux en irréversible pacifiste. Défenseur des droits de l’homme, il bannit à jamais la violence et la lutte armée révolutionnaire qui enflamme les milieux universitaires des années 1960. Il est pourtant arrêté et emprisonné à deux reprises pour délit d’opinion au début des années 1970, peu après l’obtention de sa maîtrise de philosophie. « Je n’ai jamais été pratiquant mais sur décision maternelle je mangeais cacher en prison. Ils pouvaient me garder autant qu’ils le voulaient pourvu qu’on la laisse me nourrir ! » se rappelle-t-il en riant.

Hamedan : Mausolée d’Esther et de Mardochée

Aux balbutiements de la révolution de 1978, la notoriété de Parviz Agha le désigne d’office comme représentant des juifs iraniens. Sous l’égide de l’ayatollah Taléghani (un religieux éclairé et tolérant), il rédige le communiqué de ralliement de sa communauté au mouvement révolutionnaire, rencontre à deux reprises l’ayatollah Khomeyni, siège au Parlement islamique, prône la tolérance et le dialogue interreligieux et intercommunautaire, notamment à la tribune des prières de vendredi à l’université de Téhéran. Il fut et reste à ce jour le seul non musulman ayant eu droit à cette tribune politico-religieuse.

Cour de la synagogue

L’autre passion de cet homme féru de culture étant le cinéma, Persépolis s’agrandit, passe à la production et signe quelques-uns des chefs-d’œuvre du septième art iranien.
Le palmarès politique de Parviz Agah est tout aussi glorieux. On lui doit le dénouement de la crise des juifs iraniens condamnés à mort pour « espionnage » sous le mandat de Mahmoud Ahmadinejad. On lui doit une admirable lettre ouverte adressée à ce dernier quand il nia l’holocauste. On lui doit des articles incendiaires condamnant la politique « extrémiste, inhumaine et raciste » de Benyamin Netanyahou.

Un fils du rabin et Parviz

Parviz Agah qui se dit Iranien avant d’être juif, croit à l’avenir de son pays et lui accorde un rôle crucial pour la paix au proche et moyen orient. Excès d’optimisme ? L’avenir nous le dira.
En attendant, la conscience juive de l’Iran, éclaire et dialogue, notamment avec les représentants des communautés hébraïques d’Europe dont ceux de la France qu’il qualifie de « pro israéliens, rigides et iniques ».
Le dernier passe-temps de Parviz Agha est l’écriture. Le jour où j’ai su mon nom, publié récemment, est un bouleversant recueil de nouvelles qui nous plonge dans l’Iran judaïque, d’Ispahan à Hamédan où, d’après le récit biblique, serait enterrée la reine Esther, l’épouse du roi de Perse Assuérus. Aidée par son oncle Mardochée, au service du roi, Esther aurait évité aux juifs de l’empire un massacre programmé.

Oudlajan, grande synagogue

La date de construction du sanctuaire originel, haut lieu de pèlerinage des juifs d’Iran, reste inconnue. Sa reconstruction daterait du XVIe siècle.
Le gardien du lieu sacré, petit homme au regard délavé, se dit honoré de recevoir les amis de Parviz Agha. L’entrée du mausolée est dissimulée derrière un imposant morceau de granit portant une serrure cachée. D’une hauteur de moins de quatre pieds, le visiteur doit s’incliner pour y pénétrer. « Le respect envers la reine, oblige », explique le gardien. Dans la première pièce dite extérieure, s’alignent quelques tombes de rabbins célèbres. Une arche donne accès à la pièce intérieure aux murs ornés d’inscriptions hébraïques. Les deux sarcophages sculptés qu’elle contient seraient les sépultures d’Esther et de Mardochée. Une armoire contenant un rouleau de Torah vieux de 300 ans est l’autre trésor du mausolée.

Parviz à Oudlajan

« Du vivant de sa mère Parviz Agha venait souvent nous rendre visite », raconte le gardien « Mais même à l’époque il était plus porté par la spiritualité que par la religion. »
En effet, Parviz Agha ne jure que par l’esprit et les convictions qui l’emporteront sur la haine et l’aveuglement. Humaniste ou sage persan ? Sans doute les deux.

Fariba Hachtroudi. Téhéran février 2020.

[1] le vieux quartier juif de Téhéran
[2] Agha : Monsieur en persan.
[3] Premier Ministre de 1950 à 1953. Il nationalisa les sous-sols du pays avant d’être évincé par un coup d’état fomenté par la CIA et le MI6.
[4] Police secrète du Shah.


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